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Campeurs de records
Les histoires d’enchanteurs et de moutons me poursuivent. J’ai
fui en Espagne pour me vider la tête de toutes ces idées saugrenues,
mais j’ai découvert que mon compagnon de voyage était planteur
de pieu. C’est un métier. Surtout en béton ; c’est
embêtant, mais il faut taper un peu quand même. Je pensais qu’on
utilisait un appareil appelé Merlin. C’est vrai. Mais j’ai
appris que la masse qui tombait et retombait au rythme régulier du moteur
démarré à l’amadou s’appelait le mouton. Sort
cruel pour cet animal si paisible que battre des pieux de quoi lui mettre la
laine en pelote et tirer la sonnette d’alarme, justement un petit merlin
s’appelle une sonnette.
Encore une fois, les choses se compliquaient malgré ma bonne volonté.
J’ai toujours du mal à me lever le matin, et me revoilà au
pieu, pour revenir à mon mouton. Au départ.
C’était un petit groupe d’irréductibles hommes volants
avec des assemblages divers de tubes et toiles où le delta n’en
est pas un et où le trapèze est triangulaire. J’essaie
de simplifier au maximum, mais la vie de ces gens a des cotés ésotériques.
Ils mangent tous les soirs à une grande table. Est-ce une secte ? Je
ne crois pas, mais il y a quelques particularités qui étonnent
le bleu que je suis. Bleu bronzé recouvert de crème solaire blanche.
Manu m’a pris le nez rouge. Mais je reste haut en couleur et bas en
vol.
Nous étions vingt au pays des cigognes. Mes camarades m’avaient
dit avec Jean-Marc Troussard, c’est toujours vin au pays, car il est
dans le pinard. Les autres finissent dans le coaltar, avec des plumes de vautour
dans le nez. C’est mieux dans le nez
Nous campions sur un petit aérodrome perdu au milieu des plaines. Mes
instructions de vol étaient simples. Tu passes le persil, tu sautes
la moquette, Tu te fais les chenilles. J’ai réfléchi un
peu. Il fallait en fait survoler des étendues d’oliviers et de
chênes lièges, dépasser des rizières et atteindre
les contreforts des sierras. En évitant les cigognes en vol de groupe,
et les transals migrateurs dans les nuages.
Mais voici qu’un homme grand s’approche de moi et me dit « viens,
on va se faire une ligne ». Je réponds que non, moi la poudre
blanche, c‘est pas mon truc, déjà que j’avale pas
mal de poussière. Mais en fait c’est un nouveau Mermoz. Il parle
de « la » ligne. Protestant de plus. C’est la ligne de la
ligue. Il cherche à m’accrocher. Quand je comprends enfin qu’il
n’a pas de mauvaises intentions, je me retrouve au bout d’un câble
derrière un remorqueur volant. Fumant. Pas la moquette.
Au départ, le pilote du remorqueur a des bras courts et vole plus vite
que moi, mais plus le temps passe, plus ses bras s’allongent. Ils ne
touchent pas encore terre lorsqu’il descend de l’appareil, mais
cette morphologie lui donne un aspect sympathique.
Le cirque commence sa représentation sans chapiteau. C’est un
inconvénient pour l’ombre, mais c’est plus facile pour la
transhumance. Tiens, voilà le mouton qui revient. Il est temps que je
m’envole. Je dois dire que je ne suis pas le seul à avoir des
visions. Manu voit la vierge, pas très haut même, et sa dévotion
profonde le fait poser à ses pieds. Il entrevoit aussi un étrange
animal, rond en son milieu, le nez à ras de terre, une spirale à l’autre
bout. Il s’agit d’un cochon truffier, qui suit la paille dans les
airs afin de trouver son origine, laquelle se situe généralement à côté de
l’endroit où elle redescend. Jeannot voit des vols de dolines,
très basses, certaines d’un vert transparent, rondes comme des
queues de pelles ressemblant aux avens de Rouergue. Nicolas a vu des traces
de mammouth. François s’en est tenu aux dolomies, ruiniformes
et karstiques comme toujours. Jean-Marc réchappe à la plus grande
forêt du monde, une création de Philippe, mais il est de Marseille évidemment.
J’estime que je m’en tire bien. Il m’a seulement semblé voir
des bostryches, un coléoptère xylophage.
Opal a eu un entretien avec la fée Douchka qui lui a raconté l’histoire
de la plus énorme Foufounnette de l’univers. Du coup, il en a
perdu son code pin de portable et il est parti dormir dans la pinède
en rêvant à un tracteur jaune ; c’est une décapotable
pas chère pour un horticulteur. Il a fini par essayer de planter son
trapèze sur l’aérodrome, non sans un certain succès.
Il voulait faire comme Gilles pour avoir droit à la réparation
en carbone moulé à la louche. En fait, il se console avec quelques
bières au camping, attendant l’apparition hypothétique
d’une dulcinée d’un toboggan aquatique inexistant. Une affaire
qui évoque celle du Monsieur italien qui rote (Don Camensulli peut-être
?).
Bruno descend des airs transformé, portant un chapeau de cow-boy et
un blouson cycliste bleu avec des flammes comme sur les capots de voitures.
Il a dû prendre feu pour faire ses 250 kms en aller-retour avec Gilles.
A la fin des épreuves, il faut passer le contrôle anti-doping,
consistant à boire quelques pressions pour ne pas les subir, et à essayer
de retrouver le numéro de téléphone de René Récup
Service afin de rentrer à la maison.
Le soleil a pris ma tête pour un pieu à enfoncer. Mais vous voyez
bien que je résiste vaillamment. Je garde presque toutes mes facultés.
Un peu occultées parfois. Avec la bonne prononciation j’ai goûté la
spécialité locale : l’Alaju.
Campo de melo de Sotos. Hasta la vista.
Merci à tous, et encore plus à l’organisation.
Pascal – juillet 2002
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